La Chronique de Şaban

“ Le rêve, c'est le luxe de la pensée.”

Qu’est-ce qu’un RUM (roum): c’est la communauté grecque d’Istanbul, qui vit en deux dimensions, partagée entre son espace identitaire référent (la Grèce) et son espace politique concret (la Turquie).

L’esprit peine à imaginer que nation et territoire ne sont pas toujours superposables. C’est à travers cette double identité qu’il faut essayer de comprendre le rapport des Roums à la Turquie et surtout à la ville d’Istanbul.

Stéphane Yerasimos, l’auteur de ce livre est un rum de Turquie, né en 1942 à Istanbul, décédé à Paris en 2005. Il a écrit de nombreux ouvrages sur l’histoire de la Turquie. Je pense réellement que c’est l’un des plus grands spécialiste en langue française de la Turquie Ottomane avec bien d’autres en France (Nicolas Vatin, François Georgeon, Frédéric Hitzel), mais le seul franco-turc.

Les personnages comme l’architecte Sinan, Sokullu Mehmet Paşa (Grand Vizir), les Janissaires, sont connus et reconnus comme ayant fait parti de la politique du Devşirme (devchirmé). C’est justement la capacité de l’État ottoman à absorber une pluralité ethnique et religieuse.

Le système de devchirmé est en résumé l’éducation dans le cadre d’une loi de certains enfants chrétiens de l’Empire ottoman en vue d’en faire des fonctionnaires de l’État. En réalité, la richesse de l’histoire de l’État Ottoman c’est surtout sa réussite de foisonnement de cet État multi-ethnique et multi-confessionnel. Nous le voyons à travers les dévchirmés, et également à travers des personnages comme Konstantinos Mousouros Rum Ottoman, ambassadeur Ottoman auprès de la Grande Bretagne pendant 35 ans ce qui lui valut l’expression de cheikh de la diplomatie. L’État Ottoman c’est la symbiose de l’orient et de l’occident.

C’est en même temps une nouvelle preuve de la réaction créatrice provoquée, dans l’État Ottoman : par les concepts artistiques qui en sont les plus beaux exemples, qu’on n’imitait pas servilement mais qu’on réinterprétait. On peut dire que l’idée de Sainte- Sophie, transformée, est l’équivalent en art du système Devşirme par lequel les éléments chrétiens de la population étaient amenés à servir les fins ottomans.

Lors de son voyage à Istanbul en 1911, Le Corbusier, alors âgé d’à peine vingt-cing ans, a écrit plus tard, dans son autobiographie:

«…les murs de Byzance, la mosquée du Sultan Ahmet, Sainte-Sophie, le Grand Sérail – voilà, messieurs les bâtisseurs de villes, ce que vous pouvez mettre dans vos cartables: des silhouettes !

Le Voyage d’Orient 1910-1911, Le Corbusier

Constantinople – De Byzance à Istanbul
La colonie grecque de Byzance, devenue Constantinople sous l’Empire byzantin et Istanbul sous les Ottomans, abrita seize siècles durant les fastes de deux grands empires couvrant l’Est méditerranéen, des Balkans à l’Afrique du Nord. Cet ouvrage présente l’aventure de cette civilisation dans sa continuité, sur un même site et tout au long des siècles.

Le livre s’ouvre sur la ville byzantine et la fondation d’une nouvelle capitale, celle de l’Empire romain devenu chrétien, Constan- tinople, dotée de magnifiques monuments, dont la célèbre Sainte-Sophie. Vient ensuite l’effondrement du monde antique, suivi de l’éclosion de la Constantinople médiévale avec son infinité d’églises et de monastères ornés de somptueuses mosaïques, ainsi de précieux manuscrits enluminés et d’icônes aujourd’hui dispersés dans les plus grands musées du monde.

Enfin, l’art de Byzance finissant, apparaissent les prémices de la Renaissance à travers les mosaïques de l’Église de Saint-Sauveur in Khora.
L’auteur s’attache ensuite à révéler les richesses de Bursa et Edirne, premières capitales ottomanes où les arts arabe, persan et turc opèrent leur synthèse avant de s’épanouir dans Constantinople, conquise en 1453 et rebaptisée Istanbul.

Enfin, est étudiée l’Istanbul Ottomane qui doit se soumettre à une nouvelle géographie du pouvoir. Le palais de Topkapı est alors bâti face au Bosphore. Vient ensuite l’époque de la grandeur, celle, au XVIe siècle, de Soliman le Magnifique, quand la ville se dote de mosquées impériales rivalisant avec Sainte- Sophie. Arts décoratifs, tissus, céramiques, calligraphies et enluminures s’épanouissent alors. Malgré la décadence qui suivra, le baroque et même l’éclectisme ottoman du XIXe siècle conserveront le merveilleux d’un art oriental qui s’étale sur les rives du Bosphore.

Constantinople – De Byzance à Istanbul
Éditions Place des Victoires – Paris – 2010
Stéphane Yerasimos – 399 pages
ISBN 978-2-8099-0146-7